Les objectifs et la motivation des partenaires

schéma répartition huîtres

Figure 1 : Répartition de la production conchylicole française en 2011 / 2012
© cnc-france.circum.net

Répartition en tonnes de la production mondiale d’huîtres creuses Crassostrea gigas en 2010

Figure 2 : Répartition en tonnes de la production mondiale d’huîtres creuses Crassostrea gigas en 2010
© www.ostrea.org

Besoins de la filière conchylicole

En aquaculture la qualité de l’eau est un paramètre essentiel pour la production, tant qualitativement que quantitativement, avec des enjeux financiers importants. Ainsi, les structures travaillant dans ce domaine doivent avoir recours à des techniques de traitement de l’eau afin de lui conférer les propriétés physico-chimiques requises et ainsi obtenir des conditions d’élevage optimales et une meilleure productivité. La conchyliculture est une activité importante en France. Elle comprend l’élevage des moules, des huîtres, des palourdes et des coques et représente la principale branche de l’aquaculture française. L’ostréiculture, avec 101 100 tonnes d’huîtres produites au cours de la saison 2010-2011, représente la plus grosse production de coquillages.

> voir figure 1

En effet, la France est le premier producteur et consommateur d’huîtres européen, assumant les ¾ de la production du continent et figure au troisième rang mondial de la production de l’huître creuse Crassostrea gigas (aussi appelée « huître japonaise », espèce majoritairement produite dans le monde et en France)

> voir figure 2

Pour maintenir des conditions de production acceptables, l’ostréiculture doit aujourd’hui mettre en œuvre des techniques diverses pour faire face à l’émergence de nombreuses problématiques. C’est particulièrement le cas au sein des écloseries conchylicoles françaises qui doivent faire face à des pollutions de type biologique et chimique qui viennent perturber les conditions de production du naissain. C’est effectivement dans un contexte de pollution marine diversifiée et croissante que se positionne ce projet : la présence de contaminants chimiques dans les huîtres et les moules du littoral français est avérée depuis de nombreuses années. Elle est due à l’intensification des activités humaines sur ces zones qui engendrent des rejets en mer issus par exemple de l’industrie et de stations d’épuration, mais aussi des sols lessivés lors d’épisodes pluvieux.

Il est important de noter que deux des partenaires du projet sont positionnés sur le polder conchylicole de Bouin en Vendée (85) qui constitue le premier centre français de production de naissain d’écloserie pré-grossi. Il assure près de 70 à 75 % de l’approvisionnement français en naissain d’écloserie, soit une production dépassant le milliard de naissains.

  • La gestion des pathogènes : depuis 2008, la conchyliculture connaît des surmortalités des élevages huîtres (jusqu’à 75% des cheptels en 2012) du stade naissain au stade adulte. Ces mortalités sont en partie imputées à la présence dans l’eau de pathogènes de l’huître tels que la bactérie Vibrio aestuarianus et l’Herpès virus OsHv1. Dans ce cas, le traitement de l’eau permet de prévenir toute contamination des élevages larvaires, du naissain et des mollusques bivalves de taille adulte utilisés comme géniteurs. La désinfection de l’eau de mer permet donc de garantir que le compartiment recevant ces eaux restera indemne des maladies en question, et sera par conséquent à même de fournir des larves ou juvéniles garantis SPF (Specific Pathogen Free) au compartiment d’élevage suivant.

  • La contamination chimique par des micropolluants organiques : Sur le site « atelier » du polder ostréicole de Bouin, une étude menée au sein du laboratoire d’Écotoxicologie de l’Ifremer à Nantes ayant pour objet l’Utilisation d’Incubateurs in Situ pour l’EValuation de la qualité chImique des eaux côtières et de son Impact sur le développement et la survie des huîtres » (INSEV3I), a permis de montrer la présence de résidus de pesticides dans l’eau qui alimente le polder ostréicole de Bouin. Ces travaux ont notamment permis d’identifier les catégories de molécules chimiques issues des activités humaines qui pourraient avoir accès aux eaux du polder de Bouin. Au sein des structures d’élevage, la gestion d’huîtres au stade larvaire ou naissain et la culture d’algues fourrages peuvent être perturbées par une modification des propriétés physico-chimiques de l’eau de mer. Afin de prévenir tout désagrément, la mise en place de traitements complémentaires aux étapes de filtration et de désinfection peut devenir essentielle pour la mise en œuvre d’une qualité d’eau constante au sein des établissements conchylicoles.

Souches algues en laboratoire

Souches algues en laboratoire ©Novostréa

Motivation des partenaires socio-économiques

L’écloserie – nurserie conchylicole demande un savoir-faire indéniable et des moyens performants de production. Du fait de la sensibilité des naissains à toutes contraintes extérieures, il est nécessaire d’utiliser une eau de mer de qualité. En zone littorale, la présence de micropolluants de types pesticides, herbicides, insecticides, résidus de médicaments humains ou vétérinaires, perturbateurs endocriniens est avéré. Or, pour utiliser sans risque sanitaire les eaux salées dans l’aquaculture et en particulier en écloserie, il convient d’éliminer ces micropolluants délétères. Peu d’études concernent les eaux très salines dont la force ionique élevée peut affecter le fonctionnement et les performances des procédés de traitement et en particulier les procédés d’adsorption sur charbon actif. D’un point de vue application dans les écloseries, les traitements préalables de l’eau salée, ne sont pas ou peu développés sur les sites industriels ou alors leur gestion est très aléatoire. Ainsi sur les deux sites des partenaires industriels, la maîtrise de la qualité de l’eau est un des piliers importants permettant une production de naissain.

> Figure 3

Figure 3 : Étapes clés de la production de naissains

Par exemple, Novostrea Bretagne s’est dotée, dès sa création, de systèmes de désinfection et de filtration performants de manière à améliorer qualitativement et quantitativement ses productions, ce qui a permis de les sécuriser. Cela permet également aux naissains produits une meilleure adaptabilité dans le milieu naturel. Première écloserie à faire le choix dès 2015 d’un traitement par charbon actif (intégration empirique), Novostréa Bretagne a pu mesurer les effets notables (stabilisation de la production) sur la réussite en élevage larvaire, il n’en reste pas moins que des incertitudes persistent, notamment :

  • sur la nature des polluants organiques retenus ;
  • sur la capacité de rétention et la durée de vie de la matière filtrante ;
  • sur les réactions physicochimiques qui peuvent découler de l’étagement de la filtration (sable, UV, charbon) ;
  • sur la pertinence du traitement au regard de la saisonnalité.

Depuis la crise de 2008 ayant occasionné de très fortes motalités chez le naissain d’huitres creuses, les écloseries commerciales protègent aujourd’hui leurs élevages par des systèmes UV en vue d’inactiver les pathogènes. Cependant, elles observent des phénomènes nouveaux au sein de leurs élevages (croissance plus faible et mortalités précoces) qui pourraient être incombées à la prés ce de contaminants chimiques (nouveaux et/ou en plus forte concentration) dans l’environnement.

Cette présentation montre clairement l’ampleur de l’enjeu traité et les objectifs des partenaires socio-économiques. Des procédés existent mais soit les performances sont fonction de la saisonnalité, soit elles ne sont pas suffisamment performantes pour traiter la totalité des polluants. On peut citer les UV, performants mais pas en période de forte turbidité ou générant des sous produits mal connus, les filtres à sable mais dont la rétention est insuffisante vis à vis de pollution type bactéries, virus, etc.

Adéquation des partenaires académiques vis à vis d’un projet à forte attente industrielle

Dans ce projet, les partenaires issus de la communauté scientifique et du secteur économique se proposent donc de répondre aux problématiques de la filière conchylicole avec l’ambition première de proposer un nouveau procédé de traitement pour protéger les élevages de stades précoces de mollusques marins (huîtres creuses, huîtres plates et palourdes), de l’évaluer et de le comparer avec les systèmes de désinfection et décontamination et des eaux d’alimentation existants.

Des études de l’IFREMER ont montré la présence de contamination chimique dans les eaux littorales qui alimentent les écloseries de mollusques marins (réseau Ifremer ROCCH, projets INSEV3i, SQUALE (financement SMIDAP) et LEAUPOLD (financement Agence de l’eau Loire Bretagne). Plus particulièrement la Plateforme Expérimentale Mollusques Marins de Bouin travaille dans le domaine de la sécurisation des productions conchylicoles et développe depuis 6 ans des projets visant à inactiver les agents pathogènes des mollusques (projet DESIMER) et à éliminer les pesticides dans l’eau de mer (projet ADAQUA) avec l’objectif de valider les procédés en conditions réelles d’élevage (du stade larvaire au stade adulte).[1]

AMU a étudié la filtration membranaire d’eau de mer et l’optimisation des procédés sur des échelles industrielles pour différents cas (i) dépollution de l’eau de mer contaminée avant son rejet en mer dans le cas d’eaux de fond de cales (SNCM, Société des Eaux de Marseille) ou d’eaux de lavages (CMACGM), (ii) désinfecter de l’eau de mer (bactéries, Virus, matières en Suspension) dans le cadre de ballastage et déballastage de porte containers (BIO-UV ; CMACGM, Marseille FRET) et (iii) dans le cadre de pollution spécifique (gamètes) issus d’écloserie.

L’ENSCR via l’équipe Chimie et Ingénierie des Procédés travaille depuis longtemps sur l’élimination des polluants à l’état de trace (du ng.L-1 au µg.L-1) dans des milieux (eau, air) complexes. Les procédés d’adsorption font partie des traitements efficaces pour atteindre cet objectif. Au cours de très nombreux projets de recherche (Véolia, ANR PARME, Projets Région, ANSES…), des procédés efficaces, sélectifs, durables et économiques ont été développés et ont bénéficié à de nombreux partenaires (entreprises privées, syndicats des eaux, etc.). L’équipe CIP possède en outre une solide expérience sur la modélisation de l’élimination des micropolluants organiques dans les filtres à charbon actif en grain et les réacteurs à charbon actif en poudre. Ces développements technologiques se basent sur la compréhension des phénomènes physico-chimiques fondamentaux (diffusions, interactions, réactions) et sur la caractérisation physique et chimique des matériaux adsorbants poreux. Pour ce faire, de multiples moyens analytiques sont mis en œuvre (adsorption d’azote à 77K, porosimétrie mercure, thermogravimétrie, …). De même, les polluants à l’état de trace sont détectés et quantifiés par des outils analytiques de pointe (chromatographes associés à la spectrométrie de masse, concentration sur phase solide en ligne, spectromètrie de masse haute résolution). Des analyses ciblées ou semi-ciblées permettent d’évaluer l’efficacité des procédés d’adsorption dans les conditions réelles.

L’IMT Atlantique a déjà étudié, via les projets ADAQUA 1 et 2 en collaboration avec Ifremer (financés par le SMIDAP [1] et soutenus par les professionnels du polder conchylicole, menés conjointement par Ifremer (LSPC – Station de Bouin), l’IMT Atlantique (Département Systèmes Energétique et Environnement) et la SODABO, écloserie privée située sur le polder) le procédé d’adsorption utilisé en amont d’établissements conchylicoles pour prévenir les élevages de toute contamination chimique éventuellement présente dans l’eau de mer. La présence de contaminants chimiques dans les huîtres et les moules du littoral français est avérée depuis de nombreuses années [2]. Elle est due à l’intensification des activités humaines sur ces zones qui engendrent des rejets en mer issus par exemple de l’industrie et de stations d’épuration, mais aussi des sols lessivés lors d’épisodes pluvieux. En l’occurrence le polder de Bouin connaît une activité agricole positionnée directement autour des activités ostréicoles, et la présence ponctuelle de certains produits phytosanitaires a été mise en évidence. Les projets ont focalisé dans un premier temps sur la simazine et le métolachlore. Des essais d’adsorption par charbon actif en mode statique et en mode dynamique ont été réalisés à l’échelle de laboratoire afin d’obtenir des isothermes d’adsorption et des courbes de percée. Les résultats obtenus ont permis de donner des éléments de dimensionnement et des recommandations pour le fonctionnement de l’unité de pilote mise en œuvre par les partenaires du projet. Dans un second temps le projet s’est focalisé sur le glyphosate et AMPA son sous- produit. Ces molécules nécessitent le développement de méthodes d’analyse spécifiques et sont difficilement adsorbées sur des charbons actifs [3]. Les perspectives sont d’identifier d’autres adsorbants pouvant être mieux adapté à la rétention de ces molécules. Différentes études indiquent que des zéolithes ou résines dont certaines peuvent être fonctionnalisées pouvaient apporter des réponses satisfaisantes à la rétention du glyphosate [4, 5]. La particularité des projets menés par l’IMT Atlantique est d’étudier ces adsorbants dans des conditions spécifiques d’eau salée.

Ainsi la motivation des quatre partenaires académiques est de mettre à la disposition d’un tel projet leurs compétences complémentaires. La reconnaissance industrielle de ces partenaires est aussi en adéquation avec l’objectif d’un transfert de technologie innovante. Le projet ainsi mis en oeuvre permettra le développement des points suivants :

  • Les performances d’un système couplant le rayonnement ultraviolet (UV) et l’adsorption sur charbon actif seront évaluées en termes d’élimination et de devenir des contaminants chimiques et de leurs sous-produits éventuels.
  • D’autre part, avec les mêmes visées, un système combinant l’ultrafiltration (UF) et l’adsorption sera développé et la pertinence sera démontrée pour la croissance de juvéniles.
  • Les connaissances scientifiques acquises à l’échelle laboratoire seront confrontées à des conditions contrôlées sur les plateformes expérimentales « Mollusques Marins » de l’Ifremer à l’échelle semi-industrielle, avec de premiers jalons menant à l’intégration des couplages pour la conduite d’élevages larvaires pour les deux écloseries commerciales partenaires du projet, qui feront l’objet du transfert de technologie. En effet, la mise en place de démonstrateurs de traitement de l’eau dans la configuration la plus optimale sera également opérée sur les deux sites de production de naissains. Des informations essentielles quant à l’impact des systèmes de désinfection UV, très répandus dans les écloseries conchylicoles, seront également acquises.

Références associées au projet

[1]  https://archimer.ifremer.fr/doc/00416/52765/53628.pdf

[2] http://envlit.ifremer.fr/var/envlit/storage/documents/parammaps/contaminants-chimiques/

[3] J. Jönsson, R. Camm, T. Hall, Removal and degradation of glyphosate in water treatment: a review, J. Water Supply Res. Technol.-Aqua. 62 (2013) 395–408. https://doi.org/10.2166/aqua.2013.080.
[4]  D.M. Jia, C.H. Li, A.M. Li, Effective removal of glyphosate from water by resin-supported double valent nano-sized hydroxyl iron oxide, RSC Adv. 7 (2017) 24430–24437. https://doi.org/10.1039/C7RA03418K.
[5]  Z. Ren, Y. Dong, Y. Liu, Enhanced Glyphosate Removal by Montmorillonite in the Presence of Fe(III), Ind. Eng. Chem. Res. 53 (2014) 14485–14492. https://doi.org/10.1021/ie502773j.